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Le don des langues
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Les enfants ont une facilité innée pour les langues et un goût insatiable pour la découverte et l’inconnu. Cela s’explique par la plasticité neurologique indispensable pour permettre au nouveau-né et au petit enfant de s’adapter à son environnement quels qu’en soient la langue et les codes culturels. « Aucune langue n’est compliquée, aucune n’est étrange et aucune n’est primitive ». J’aime beaucoup cette citation de Noam Chomsky et je trouve qu’elle peut tout à fait s’appliquer à la perception du petit qui acquiert sa langue maternelle, qu’il s’agisse du français, du chinois ou de l’une des près de 7000 langues existant encore aujourd’hui sur notre planète.
Il semble pourtant qu’avec le temps, une fois bien adaptés à leurs modes vie et de communication, beaucoup de ces enfants perdent peu à peu ces aptitudes et même le goût pour les langues étrangères, voire pour tout ce qui est différent de ce qu’ils connaissent, ne parvenant plus à percevoir le monde qu’à travers le miroir forcément déformant de leur langue-culture maternelle. Même si ce n’est pas le cas de tout le monde, il semble que la focalisation sur la langue-culture maternelle nécessaire à l’acquisition de celle-ci passe pour beaucoup d’enfants par le rétrécissement progressif des facultés de perception et d’acquisition de langues-cultures inconnues.
Comme le dit un proverbe africain « un jeune ayant visité cent villages en sait plus qu’un ancien ayant passé cent ans dans le même village », et les enfants privés de tout contact interculturel pourraient bien risquer d’être atteints de cécité avant l’heure, au risque même de tomber dans des attitudes extrêmes telles que le racisme ou la xénophobie.
Bien sûr, rien n’est irréversible et on sait aujourd’hui qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre une langue. Si voyager ouvre sans aucun doute l’esprit, la découverte interculturelle et plurilingue, même à un âge précoce, tout en respectant les rythmes, les besoins et les envie de chacun, peut être tout aussi bénéfique. On sait par exemple que les enfants bilingues ont une pensée plus créative et ouverte et qu’ils s’approprient d’autres langues avec plus de facilité que les enfants monolingues. Il ne s’agit pas nécessairement de faire apprendre une ou plusieurs langues étrangères à nos enfants dès tout petits, mais avant tout de les mettre en contact avec un univers multilingue et multiculturel afin de tirer parti de leur potentiel inné, leur permettant ainsi de se décentrer de leur langue-culture maternelle et de cultiver cette capacité incroyable à assimiler n’importe quelle langue étrangère. Cette ouverture d’esprit pourra d’ailleurs s’étendre à tous les domaines de l’apprentissage, de la vie, de la communication et de la relation à l’autre.
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Une démarche écologique
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Langues et écologie, on pourrait penser à première vue que ça n’a pas grand chose à voir. Et pourtant, c’est tout le contraire. Une langue, c’est un moyen de communication qui est propre à un peuple donné, associé à ses manifestations culturelles et généralement à un territoire concret qui constitue son habitat. Découvrir la diversité linguistique et culturelle c’est aussi découvrir la diversité des habitats et des environnements dans lesquels ces peuples évoluent. Or de nombreux écosystèmes et habitats sont actuellement en voie de disparition, et avec eux de nombreux peuples, leur langue, leur culture, leurs modes de vie. Faire apprécier, valoriser, respecter et préserver la diversité linguistique et culturelle permet donc aussi de faire apprécier, valoriser, respecter et préserver la diversité des habitats et des environnements dans lesquels ces peuples évoluent. C’est aussi simple que cela!
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Quelle approche privilégier?
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La découverte des langues et cultures étrangères ne doit en aucun cas être quelque chose d’ennuyeux pour les enfants. Il y a mille et une façon de les découvrir, même pour les plus petits, grâce à des activités que l’on peut varier à l’infini en laissant libre cours à notre imagination et à la leur. Ça peut passer bien sûr par le jeu, par la musique, par la découverte artistique et les travaux manuels, l’expression corporelle, la gestuelle, les signes, le théâtre, les contes… Seuls ou accompagnés de leurs parents pour les plus petits, ils s’émerveillent, s’épanouissent et apprennent sans même s’en apercevoir.
Travailler l’oreille semble indispensable si l’on veut que les enfants conservent ce don incroyable pour les langues et c’est ce que l’on fait grâce aux chansons, aux comptines et aux poèmes, à des jeux d’écoute active et de prononciation.
Pour les enfants un peu plus grands et sachant déjà lire et écrire, des activités axées davantage sur l’observation et la réflexion pourront être proposées, leur permettant ainsi de développer les outils et les stratégies d’apprentissage de façon plus consciente. Ce type de démarche permet d’ailleurs de développer des compétences et d’acquérir des savoirs-faire qui seront également utile pour l’apprentissage de la langue maternelle, puisqu’on pourra faire appel par exemple à des notions de grammaire, d’orthographe, de sémantique et utiliser un métalangage que l’enfant est en train d’acquérir. Ces activités ont déjà été mises en place dans certaines écoles primaires par le biais du programme européen EVLANG et de nombreuses ressources ont été éditées.
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Quelles langues choisir?
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Même s’il n’est pas aisé de déterminer un chiffre exact de langues existant aujourd’hui dans le monde, on estime qu’il en reste encore près de 7000. On n’a donc que l’embarras du choix!
On peut à la fois proposer des langues proches de la langue maternelle, ce qui permettra à l’enfant d’élaborer des stratégies à partir de celle-ci en la comparant à la ou les langues étrangères, et aussi proposer des langues qui ne lui ressemblent en rien, afin qu’il exerce sa tolérance face a l’inconnu, l’enfant ne pouvant plus cette fois-ci s’appuyer sur ce qu’il connaît, ou très peu. On peut bien sûr proposer des activités portant à la fois sur des langues proches et lointaines.
Il est intéressant de savoir quelles sont les langues avec lesquels l’enfant est en contact habituellement: évolue-t-il dans un environnement bilingue? Est-il habituellement en contact avec des étrangers? A-t-il déjà appris une langue étrangère? A-t-il voyagé à l’étranger?
Pensons aux langues régionales ainsi qu’aux langues minoritaires présentes où nous habitons. Si certains enfants ont des origines étrangères il est bien de présenter leur langue-culture d’origine à l’ensemble du groupe. Cela permettra aux premiers de se sentir valorisés et à leurs camarades de découvrir et d’apprécier la diversité existant autour d’eux.
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A quel âge commencer? Y a-t-il un âge limite?
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Il n’y a pas de règle dans ce domaine. On peut commencer dès tout petit, mais cela n’implique pas qu’il faille nécessairement commencer le plus tôt possible, ni que passé un certain âge ça n’en vaille plus la peine. Il n’est jamais trop tard pour éveiller l’esprit et finalement mieux vaut tard que jamais! De même il n’est jamais trop tôt tant que l’on respecte les besoins de l’enfant et qu’on ne force pas l’apprentissage. C’est généralement à partir de 3 – 4 ans qu’on peut voir des bénéfices et des progrès importants, mais j’ai également proposé des activités d’éveil aux langues en chanson pour des bébés accompagnés de leurs parents. Il s’agit alors davantage d’un moment de partage pour eux. En tous cas, les activités d’éveil aux langues s’adressent généralement à des enfants de 3 à 10 ans, voire plus tôt pour les ateliers les plus ludiques.
Certains parents ou enseignants peuvent être réticents ou méfiants, craignant que les enfants ne mélangent les langues à un âge où ils sont encore en pleine acquisition de leur langue maternelle. C’est méconnaître et sous-estimer leurs capacités. L’observation ainsi que de nombreuses études ont montré que dès tout petits les enfants grandissant dans un environnement bilingue au quotidien reconnaissent et différencient parfaitement les langues qu’ils ont l’habitude de côtoyer. S’il leur arrive d’utiliser un mot d’une langue dans l’autre, de produire des calques, ce n’est pas nécessairement par confusion ou par erreur, mais bien souvent tout simplement parce qu’ils ne connaissent peut-être pas encore suffisamment les deux langues et qu’ils puisent dans l’une le vocabulaire qui leur manque dans l’autre. Il s’agit bien souvent de stratégies de communication et elles prouvent justement qu’ils font preuve de beaucoup d’intelligence et qu’ils savent se débrouiller. Ces interférences disparaîtront progressivement avec le temps. Dans le cas qui nous concerne il ne s’agit d’ailleurs même pas de ce cas de figure, puisque les activités d’éveil aux langues sont ponctuelles et limitées et qu’elles ne visent pas l’acquisition d’une ou plusieurs langues étrangères en vue de communiquer.
Pour des enfants plus grands il faudra bien sûr adapter l’approche, mais cela pourra être tout aussi bénéfique et finalement les activités ludiques pourront encore éventuellement trouver leur place. L’essentiel étant toujours de répondre aux envies des enfants, sinon il est inutile d’entreprendre une telle démarche.