Dis mamie, est-ce que je suis raciste?

The French Instinct

Découvre la francophonie et l’interculturel avec une prof de FLE française passionnée par les langues et cultures du monde.

Les notes x sont situées en fin d’article. Les passages en italiques sont des termes ou des tournures idiomatiques qu’il est bon de connaître.

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Qui est vraiment l’homme de couleur ?

Homme blanc,

Quand je suis né, j’étais noir
Quand j’ai grandi, j’étais noir
Quand je vais au soleil, je suis noir
Quand je suis malade, je suis noir
Quand j’ai peur, je suis noir
Quand je mourrai, je serai noir

Tandis que toi, homme blanc
Quand tu es né, tu étais rose
Quand tu as grandi, tu étais blanc
Quand tu vas au soleil, tu es rouge
Quand tu as froid, tu es bleu
Quand tu as peur, tu es vert
Quand tu es malade, tu es jaune
Quand tu mourras, tu seras gris

Alors dis-moi, de nous deux, qui est l’homme de couleur ?

Léopold Sédar Senghor

Ces derniers jours, on voit beaucoup circuler ce poème de Senghor, ce grand écrivain sénégalais. Le racisme, et plus généralement la xénophobie, ça me dépasse. Qu’on puisse encore aujourd’hui se moquer, insulter, harceler, dénigrer ou même agresser quelqu’un pour sa couleur de peau ou son origine est quelque chose qui m’est totalement intolérable et que je n’arrive même pas à concevoir. Comment, dans la tête d’une personne douée de raison est-il possible, alors qu’on a une ouverture sur le monde grâce aux médias et aux voyages, alors que le brassage de populations et le métissage se répandent aux quatre coins du globe, que nous nous targuons 1 d’offrir à tous une éducation, comment est-il possible que quelque forme de racisme ou de xénophobie puisse encore exister?

Je me dis que les racistes et les xénophobes doivent avoir une vie bien misérable et bien triste pour perdre du temps dans des jugements et des actes aussi bas. Parce que moi, jamais je ne serais capable d’une chose pareille. Jamais !

Jamais ? Pas tout à fait… Car finalement le point de départ du racisme est parfois beaucoup plus subtil qu’on ne le croit.

Laissez-moi vous raconter une petite histoire…

J’ai grandi dans une famille où, même si on ne parlait que le français, on appréciait les étrangers et le contact avec d’autres cultures. Mes parents avaient des amis des différentes nationalités et il me semblait tout à fait naturel que des cousins et cousines éloignées se soient mariées avec des étrangers. Pour moi, ça ne faisait aucune différence, ils étaient toujours bien accueillis à la maison.

Mais je vivais dans un petit village, en pleine campagne française et les étrangers, ça ne courait pas les rues 2 ! Puis une famille noire est venue s’y installer. C’était un couple originaire des DOM-TOM, de Martinique si ma mémoire est bonne, donc Français. Ils avaient des enfants, dont un petit garçon de mon âge. Nous allions dans la même école maternelle. Forcément, l’arrivée de ce petit garçon n’était pas passée inaperçue. J’avais 4 ans seulement à l’époque, mais je me souviens que pendant la récréation, les autres enfants parlaient de lui. Certains venaient me dire des choses à l’oreille. Bien sûr, ils ne parlaient pas que de lui mais aussi de cette petite fille bronzée qui venait à l’école un ou deux mois par an, quand la caravane de ses parents s’arrêtait dans notre village et avec laquelle je jouais pendant que mon papa et le sien parlaient affaires. Et aussi de cette fillette un peu ronde, ou de ce garçon avec ses grosses lunettes. Ça faisait partie des conversations de la cour de récré. A cet âge-là, c’est normal et on se dit que c’est bien innocent tout ça.

Un soir, ma grand-mère était venue me chercher à la sortie de l’école, comme tous les soirs. Sur le chemin du retour, nous avions croisé la maman martiniquaise et son petit garçon. Ma grand-mère, qui connaissait tout le monde dans le village, s’étaient arrêtée pour échanger quelques mots avec elle, puis nous avions continué notre chemin:

« Il est noir parce qu’il est sale. Il ne se lave pas »

C’était sorti tout naturellement de ma bouche, sans aucun ton de mépris, comme une évidence. C’était une simple constatation d’une enfant de 4 ans. Pourtant, ma grand-mère, qui était une femme très sage, était restée stupéfaite. J’avais tout de suite vu à son regard que quelque chose n’allait pas. Elle n’avait pas tardé à découvrir que cette croyance avait pour origine la cour d’école. Je ne me souviens plus de ses mots exacts, mais elle m’avait expliqué d’une voix grave que c’était faux et que je ne devais jamais penser cela, qu’il ne fallait pas écouter ce que disaient les autres enfants. Les mots de ma grand-mère avaient heureusement beaucoup plus de poids que ceux de mes camarades et j’avais immédiatement écarté cette idée, que j’avais aussitôt reléguée au rang de baliverne 3 proférée par des ignorants.

Jamais je n’ai oublié cet épisode et c’est bien des années plus tard seulement que j’ai pu mesurer toute la sagesse de ma formidable mamie. Que ce serait-il passé si elle n’avait pas réagi ainsi? Si elle n’avait pas rectifié immédiatement et très nettement cette pensée raciste qu’on m’avait transmise? Celle-ci aurait sans aucun doute commencé à germer et aurait pu se développer, nourrie par autant d’autres préjugés. Cette pensée n’était bien sûr pas innocente, elle aurait pu causer des dégâts un jour et il est évident que les enfants qui relayaient ces propos racistes ne faisaient que répéter ce qu’ils entendaient chez eux. Lorsqu’elle existe, c’est avant tout au sein de la famille que la haine de la différence se propage. Le racisme et la xénophobie sont de véritables virus qui se répandent très vite dans la tête des enfants. Une fois bien enracinées, il est beaucoup plus difficile de les éradiquer, c’est pourquoi il faut y couper court 4 tout de suite.

Aujourd’hui, ma propre famille est victime de xénophobie de la part d’un individu de près de 50 ans, un Français qui brandit son drapeau breton comme une arme et nous insulte dès qu’il en a l’occasion. Pourquoi? Parce que nous sommes une famille franco-espagnole : je suis française (de maman bretonne soit dit en passant), mon mari est espagnol et nous et nos enfants parlons les deux langues à la maison. Et ce voisin, qui considère que nous sommes chez lui, qui ne supporte pas de nous entendre parler une autre langue que le français (si, le breton alors qu’il ne le parle pas lui-même!), bien qu’il affirme ne pas être raciste et que le mot xénophobie lui soit inconnu, nous insulte, nous menace, nous harcèle, nous agresse verbalement à la moindre occasion depuis bientôt deux ans et a récemment tenté de nous blesser physiquement. Des propos comme « Espagnol de merde », « retourne dans ton putain de pays », « je vais t’éclater », « je vais te faire dégager » et j’en passe, sont monnaie courante pour nous aujourd’hui. Selon lui, il a tous les droits, nous n’en avons aucun.

Moi qui prône l’interculturel, le plurilinguisme, la diversité, je me retrouve face à mon pire cauchemar et je ne peux que voir avec désolation les conséquences d’une éducation (et d’une vie) complètement ratée, perpétuant la haine et la violence.

Dans son regard je lis l’ignorance,

Dans sa vulgarité je ressens l’inculture,

Dans ses propos j’entends le manque d’instruction,

Dans sa diction je discerne l’illétrisme,

Dans ses gestes je perçois l’absence d’empathie,

Dans ses actes je distingue le dégoût et la peur…

… ceux, totalement infondés, du petit garçon qui n’a pas eu la chance de grandir dans une famille aimante et altruiste, où il était normal de jouer avec des enfants de toutes origines, ni celle d’avoir une mamie qui lui aurait expliqué d’une voix grave qu’il ne devait jamais se moquer, insulter, harceler, dénigrer ou même agresser qui que ce soit et encore moins pour son origine et qui pourrait lui dire aujourd’hui encore avec fermeté:

« Si mon garçon, tu es raciste »

Auteure: Katy Beauvais. Source The French Instinct http://www.thefrenchinstinct.com . Tous droits réservés.

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  1. Se targuer: (littéraire, soutenu) se vanter de quelque chose
  2. Courir les rues (imagé; familier): se dit de quelque chose qui est courant, banal, habituel
  3. Une baliverne (souvent employé au pluriel), des balivernes: des sottises, des idées ou des croyances erronées.
  4. Couper court à quelque chose (imagé): y mettre fin
Sans titre

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